Les cours sont terminés, les examens corrigés et beaucoup d'étudiants ont déjà quitté le campus, exceptés les 1ère année qui doivent suivre un entrainement militaire pendant 2 semaines. C'est un spectacle que j'ai vu dans toutes les universités et écoles où j'ai travaillé en Chine et qui concerne uniquement les étudiants de 1ère année. Au lycée, ils suivent aussi une formation militaire plus courte. Cette formation a été instaurée en 1989 (ding, ding, que s'est-il passé en Chine en 1989 ?...).
Les étudiants m'ont dit qu'ils ne font pas grand chose d'autre à part former des rangs, rester debout pendant des heures, crier des slogans. Ils apprennent également la manipulation des armes pendant les derniers jours. De ma chambre, je les entendus et vus se déplacer et crier tous en coeur toute la journée. Je les plains franchement car ils sont affublés d'un uniforme qu'ils doivent supporter sous un soleil de plomb qui alterne avec des averses tropicales et sous une température qui flirte avec les 30-33 degrés, sans parler de l'humidité ambiante. Le fait d'être dehors toute la journée est déjà un conditionnement physique. Cette formation qui a pour but notamment de renforcer le patriotisme des étudiants est très peu appréciée, surtout des filles (dont l'inquiétude principale est la peur de bronzer). Non, plus sérieusement, ils m'ont dit qu'ils enviaient les étudiants français qui n'ont pas besoin de participer à ce genre d'activités.
Je me suis un peu égarée de mon sujet, mais, voilà, je quitte la Chine le 6 juillet, définitivement (en tout cas, pour l'instant...). Je ne pars pas parce que je suis lasse de ce pays mais tout simplement pour rejoindre mon mari qui travaille désormais au Japon (en tout cas, pour l'instant …) une fois que j'aurai mon visa.
J'ai passé somme toute d'excellentes années en Chine. Je suis consciente que cela est dû en grande partie à mon statut d'"expatriée" et de prof dans des universités chinoises. Si j'avais travaillé dans des alliances françaises, pas sûr que j'aurais été si heureuse professionnellement. Si j'étais chinoise, pas sûr que je serais si satisfaite non plus (tout comme les Français ne sont pas forcément heureux en France). Mais pour les étrangers qui, en plus, enseignent à l'université en Chine, c'est très cool et sans grande pression. La charge de travail n'est également pas énorme. En plus, l'université s'occupe souvent du visa (plus ou moins), fournit le logement, … Je le dis sans plaisanter : c'est le meilleur job du monde. D'ailleurs, le fait que les profs étrangers qui travaillent dans des universités passent de si longues années en Chine le prouve.
En cherchant bien, je n'ai aucun mauvais souvenir de toutes mes années en Chine. Je suis persuadée que je ne retrouverai nulle part les conditions de vie et de travail que la Chine m'a offertes. En plus, il y a une telle liberté en Chine ! Cela peut sembler paradoxal. Mais je ne suis pas la seule à le ressentir. J'en parlais récemment avec deux autres profs français du campus dont l'un vit ici depuis 9 ans et l'autre depuis 14 ans. Aucun des deux n'imagine revenir vivre en France un jour. Certes, pour des vacances et voir la famille passe encore, mais pas y habiter. Vue d'ici, la France nous semble un pays tellement figé, rétrograde, conservateur, ennuyeux, moralisateur, violent, agressif, aigri… (cf tous les problèmes sociaux qui ont eu lieu ces dernières semaines… Et dire que la France fait croire au monde entier qu'on s'habille en Dior et qu'on se parfume au Chanel… Pas étonnant que les touristes repartent souvent avec des sentiments plus que mitigés).
En Chine, c'est un bouillonnement. Alors, certes, je ne suis pas naïve au point d'oublier les problèmes qui existent ici ; mais il y a une vraie explosion de vie. Et un sentiment que tout est possible et tout est faisable… ce qui s'accompagne d'excès dont je me suis souvent plainte, d'ailleurs, mais qu'on oublie vite en fin de compte dans la vie quotidienne.
Par ailleurs, en Chine, je ne me suis jamais sentie en danger, notamment en tant que femme. On peut porter des jupes, même courtes, sans avoir peur de se faire harceler et sans que personne ne vous regarde d'un air louche. Le soir, les rues, les transports, les lieux publics ne sont pas dangereux alors même que Guangzhou est une ville bien plus grande que Paris. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de crimes, mais quand j'étais étudiante à Paris, j'ai quand même eu des petites frayeurs alors qu'ici, jamais. Certes, le fait que je sois étrangère me préserve peut-être plus, mais je garde une image très positive de la Chine en matière de sécurité.
Vous allez croire que je vais regretter la Chine. Pourtant, ce n'est pas le cas. Le chromosome de la nostalgie ne fait pas partie de mon ADN. Cependant, c'est avec plaisir que j'ai participé à des dîners d'adieux avec mes étudiants, que j'ai souri sur les photos et que je les ai invités chez moi pour nous amuser ensemble. Je garde plein de bons souvenirs et j'adore les classes de 1ère et 2ème année car, en plus des cours, on a fait pas mal d'activités ensemble : atelier danse, chanson, préparation de raviolis, petit-déjeuner à la cantonaise, dîners, jeux...
Cela dit, il faut être réaliste : on vit dans une société de l'instantané, on zappe. On passe d'un travail à un autre, d'un pays à un autre, d'une rencontre à une autre, etc.. Donc, mes étudiants vont vite m'oublier de même que je vais les oublier, oublier mes années en Chine et passer à autre chose. C'est ainsi et ce n'est pas forcément triste.
Avec mon départ qui se rapproche, tout le monde voulait connaître mon impression sur la Chine et les Chinois. On m'a beaucoup posé cette question : "Alors, où est-ce que tu préfères habiter ? ", "Qu'est-ce qui est différent entre la Chine et la France / les Chinois et les Français ?" Je suis incapable de répondre à ces simples interrogations. Certes, j'ai beaucoup parlé des Chinois et de la Chine (pas toujours très positivement, d'ailleurs) dans mon blog et je peux donner quelques exemples de différences. Cependant, rétrospectivement, je me suis rendue compte que tout ce que j'ai pu raconter sur les Chinois ou la Chine en général n'influence pas vraiment ma vie personnelle et, c'est pourquoi, ces questions me paraissent vaines . En réalité, ce qui rend heureux ou malheureux, c'est la famille, les amis / connaissances, les revenus, les relations avec le chef et les collègues avec qui on travaille, etc. Alors, peu importe comment est la Chine ou comment sont les Chinois. J'ai eu la chance de ne pas trop galérer pour trouver des postes de prof de français en Chine avec des revenus satisfaisants, j'ai travaillé avec des collègues souvent laxistes mais plutôt gentilles, les étudiants n'étaient pas toujours sérieux mais serviables et aimables et, dans la rue ou les services publics, j'étais traitée de la même façon que les autres voire avec un peu plus de sympathie parfois et tout allait bien dans ma vie personnelle.
Alors, oui, j'ai été heureuse en Chine.