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21 mars 2008 5 21 /03 /mars /2008 17:19
En ces temps troublés, vous pensez peut-être que j'ai des infos de première main sur la délicate question du Tibet; ce qui n'est évidemment pas le cas, au contraire. C'est vrai que je ne regarde pas la télé mais, de toute façon, je n'y apprendrais rien car la propagande chinoise bat son plein.

Pour être honnête, je ne sais pas trop quoi penser. Evidemment, je suis contre la répression menée par la Chine mais les Occidentaux traitent les Chinois de barbares alors que, pour la plupart, leur seule faute, c'est d'avoir toujours connu la version des faits présentée par les autorités chinoises. Vous pourrez me dire que si on le veut vraiment, on peut toujours avoir la possibilité de trouver d'autres infos et d'exercer son esprit critique mais vous devez comprendre que pour les Chinois, la question du Tibet n'est pas un problème : le Tibet, c'est la Chine; le Tibet est chinois.

J'ai évoqué le sujet en classe aujourd'hui lors de mon cours sur la presse. J'avoue que je redoutais un peu la réaction de mes étudiants car, bien que nous ayions déjà abordé ensemble des sujets un peu tendancieux, la question du Tibet est sans conteste la plus sensible. Je les ai laissés lire l'article (que j'avais trouvé dans Courrier international) et j'ai écrit des questions de compréhension au tableau. J'ai vraiment cru avoir été trop loin en leur proposant l'article car ils sont restés inhabituellement silencieux. Et finalement en répondant aux questions de compréhension, leur langue s'est déliée et j'ai compris que leur silence était moins dû au fait d'évoquer le problème mais plutôt de réaliser ce que pensaient les Occidentaux de ce sujet. Autant certains étudiants reconnaissent plus ou moins que la Chine a peut-être des efforts à fournir sur les droits de l'homme, autant aucun d'entre eux n'accepte l'idée d'un Tibet indépendant. Ils ont vraiment été choqués de voir que la presse occidentale parle de "colonisation", de "répression", que la Chine "a envahi" le Tibet.... Ils ne comprennent pas pourquoi les Occidentaux pensent que le Tibet devrait être indépendant alors que, selon eux, il appartient à la Chine depuis la dynastie des Tang (618-907);  et que donc la question de l'indépendance ne se pose pas du tout.
Si l'on évoque les événements des années 50, ce qu'on appelle en Occident "répression" est qualifiée par mes étudiants de "libération pacifique" : et le pire, c'est qu'ils y croient sincèrement. Une de mes étudiantes a ajouté qu'il y avait peut-être  eu quelques morts parmi les "mécontents" mais ils n'étaient qu'une minorité et que ces quelques morts ne comptaient donc pas vraiment.

Mes étudiants sont, je crois, assez ouverts et prêts à discuter de tous les sujets si on le fait en nuance car je sais que certains se sont plaints d'avoir rencontré des Français qui critiquaient trop ouvertement la Chine - sur des sujets moins épineux - et que cela, par contre, les dérangeaient beaucoup. Je suis donc toujours très prudente dans ce genre de situation : je n'ai jamais critiqué l'attitude du gouvernement chinois et n'ai jamais exprimé mon opinion personnelle en cours ni aujourd'hui ni dans les autres cours Je me réfugie derrière l'écran protecteur de la presse internationale et parle de l'opinion des Occidentaux en général et tant pis si je fais des généralités qui n'ont pas forcément lieu d'être mais aussi ouverts que soient mes étudiants, je peux aussi comprendre que ce ne soit pas facile pour eux d'entendre toutes les critiques faites sur leur pays. N'oublions pas qu'ils ont toujours vécu dans un pays au contexte politique un peu "particulier" et qu'ils subissent un vrai lavage de cerveau au quotidien ou presque (devoir supporter des cours de politique tout au long de leur scolarité et même jusqu'au diplôme de master !); cela n'aide évidemment pas. D'autre part, je ne crois pas pouvoir me permettre de formuler des critiques sur la politique du pays qui m'accueille car après tout je n'étais pas obligée de venir y travailler. Peut-être cette façon de faire empêche un débat en profondeur mais j'espère, néanmoins, contribuer dans une petite mesure à les aider à élargir leur vision du monde et à réfléchir à la question même s'ils ne changent pas d'opinion.
Après une heure de discussion sur le sujet cet après-midi, je me suis bien rendue compte que les étudiants restaient campés sur leur position : le Tibet appartient et a toujours appartenu à la Chine. Mes étudiants pensent que les Occidentaux ont une vision erronée des choses car ils ne s'intéressent pas à l'histoire du Tibet avant le 20ème siècle alors qu'il était déjà une province chinoise (selon eux). Enfin, mes étudiants pensent que les Tibétains ne sont pas si malheureux que cela car comme toutes les minorités (c'est-à-dire les non Han), ils bénéficient d'avantages (par exemple, les étudiants issus des ethnies minoritaires ont automatiquement 10 points de plus au concours d'entrée à l'université; les parents de ces ethnies ne sont pas soumis à la politique de l'enfant unique,...). Donc, encore une fois, mes étudiants ne comprennent pas où est le problème : les minorités ont des droits et des avantages dont ne bénéficient pas les Han; alors de quoi se plaindraient-elles ?

Mon but, au-delà de l'aspect purement linguistique du texte, était donc simplement de lancer le débat et la réflexion tout en sachant que cela ne suffirait pas à leur faire changer d'opinion. Cela dit, j'ai vu une étudiante à la fin du cours sortir de son casier un grand livre en chinois qu'elle feuilletait avec attention. Quand elle a croisé mon regard, elle m'a alors dit qu'il s'agissait d'un livre d'histoire. Elle voulait relire ce que le manuel racontait sur les "événements" de 1950-1951 et de 1959. Mais, le livre parle bien de "libération pacifique". En tout cas, je me suis dit que ce n'était déjà pas si mal qu'une étudiante s'interrogeait ainsi même s'il ne s'agissait que d'une seule personne sur un groupe de 18...

Bref, pas évident car on peut certes condamner le gouvernement chinois mais de là à condamner l'attitude du peuple chinois... On pourrait l'accuser de se laisser manipuler et de ne rien faire pour chercher à éclaircir la situation mais ce n'est même pas le problème que les Chinois ne le font pas, le problème c'est que cela ne leur vient même pas à l'esprit de chercher à en savoir plus ! Ce qui est "la question du Tibet" pour les Occidentaux est une "non-question" pour les Chinois : il n'y a rien à dire en particulier sur le Tibet, c'est juste une province chinoise au statut spécial. Et vous pouvez me croire, mes étudiants n'ont rien de fanatiques nationalistes (à part un des garçons peut-être surtout vis-à-vis du Japon) et disent tout cela avec candeur et en toute bonne foi. Alors, ne jetez pas trop la pierre sur les Chinois, la plupart ne font que répéter que ce qu'ils ont toujours appris et entendu. Ne ferions-nous pas pareil dans le même contexte ?

Pour finir sur une note "positive", je vais vous citer quelques extraits du "passionnant" Rapport d'activité du gouvernement, présenté le 5 mars 2007 à la cinquième session de la Xème assemblée populaire nationale par Wen Jiabao, premier ministre du Conseil des Affaires d'Etat (je suis tombée par hasard sur la traduction française de ce rapport, distribué dans tous les départements de l'université).

Nous y apprenons avec soulagement que "Le développement de la démocratie et de la légalité répond aux exigences inhérentes au régime socialiste. (...) Pour ce faire, il importe de promouvoir activement mais avec prudence la réforme du système politique et d'accélérer l'édification d'une démocratie à la chinoise. (...) Les pouvoirs publics devront améliorer, en ce qui concerne les grands problèmes, les mécanismes d'information et d'auditions publiques, ainsi que le régime de responsabilité pour les décisions prises, tout cela en vue de garantir aux citoyens, conformément à la la loi, leur droit à être informés, à participer, à s'exprimer et à exercer un droit de regard".

Le plus intéressant est à suivre : "Il faudra mener à bien notre politique concernant les ethnies, les religions et les Chinois d'outre-mer. Nous appliquerons de manière conséquente la Loi sur l'autonomie dans les régions d'ethnies minoritaires et nous veillerons à consolider et à développer les rapports interethniques socialistes basés sur l'égalité, la solidarité, l'entraide et l'harmonie". (Ca, c'est sûr, une fois que le sol sera jonché de cadavres, il n'y aura plus de voix pour protester et l'harmonie règnera...)

Dernière partie du rapport : "L'édification d'une défense nationale renforcée et des forces armées puissantes est une tâche d'importance stratégique dans le contexte de modernisation de notre pays.(...) Parallèlement, la police militaire sera renforcée et mieux préparée à accomplir ses tâches quotidiennes, à faire face à d'éventuelles situations de crise, à lutter contre le terrorisme ainsi qu'à sauvergarder la stabilité sociale. (...)" (Voilà qui nous rassure...)
"Nous joindrons nos efforts à ceux de nos compatriotes de Taiwan et nous nous opposerons fermement à toute forme d'activités séparatistes, telles celles qui visent à l'"indépendance de Taiwan par des moyens législatifs". (...) Nous nous efforcerons d'oeuvrer à la reprise, le plus tôt possible, du dialogue et des négociations entre les deux parties du détroit et nous nous appliquerons à faire que leurs relations aillent dans le sens d'une réunification pacifique."

Conclusion : "Nous nous sommes faits avocats d'un projet visant à construire un monde harmonieux et à réaliser une amélioration générale des relations extérieures. Nous avons donc apporté de nouvelles contributions à la cause de la paix mondiale et du progrès commun". (ça ne fait aucun doute ! prenons l'exemple du Darfour....) "Nous devons nous efforcer de multiplier les échanges et les coopérations avec l'extérieur (...) de manière à favoriser la compréhension et l'amitié avec les autres peuples du monde et à donner ainsi de la Chine une image pacifique, démocratique, moderne et progressiste". (c'est tout à fait réussi !...)
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